Ce roman « guilleret » s’intitule « Les Trois Mamans du Petit Jésus ». C’est déjà tout un programme. L’histoire commence pendant la nuit du 24 au 25 décembre 1895. Abandonné rue Brantôme, à Paris, sous le porche d’une maison close – La Cigale d’or -, un nouveau-né est recueilli par les pensionnaires de l’établissement : Madame Louisa, la tenancière, et trois demoiselles de petite vertu, Rachel, Marthe et Lucie. Elles vont décider de l’adopter, si bien que les trois mamans seront quatre comme les Mousquetaires. Arthur, le patron de La Cigale, tiendra le rôle de saint Joseph. Le prénom de l’enfant sera Noël pour l’état civil mais, dans l’intimité, ses mères adoptives l’appelleront naturellement Jésus. Les rois mages seront présents à son baptême. Ils auront les traits de Coco le borgne, de Léo tête d’argent, de Maurice la fripe, de Charlot le croque-mort et de quelques autres Pieds Nickelés spécialisés dans l’amour vénal. Au passage, Alphonse donne à ses lecteurs des leçons de linguistique. Nous apprenons que ‘maque’ n’est pas l’abréviation de ‘maquereau’ mais de ‘maquignon’. Il adorait les digressions. Il connaissait l’art de ces parenthèses qui font souvent le charme des romans. Il a mené le sien comme une enquête, retraçant la carrière et les aventures de ce Jésus d’après le témoignage d’Ursule, l’ancienne femme de chambre du bordel, et d’après les confidences du héros lui-même, alors que celui-ci se trouvait « au crépuscule de son existence ». Reconstituant le parcours de cet enfant sauvé par des pécheresses, Alphonse Boudard avait parfois le sentiment de marcher sur les traces de l’ancien académicien Daniel-Rops et de verser, lui aussi, dans l’histoire sainte. Du reste, on s’y tromperait en lisant les titres de ses chapitres : « Jésus en son temps », « Ministère de Jésus en Argentine », « Le retour de l’enfant prodigue », « L’Ascension »… Cependant, le genre édifiant n’était pas celui d’Alphonse.