Dans ce pauvre  »shtetl » polonais, cette bourgade juive du début du siècle, la famille de Mattes, le colporteur, est la plus pauvre de toutes. La seule joie de Mattes, c’est Nachman, son fils unique, en qui il place tous ses espoirs : il le voit rabbin, il le voit riche, puissant… Et puis la vie va se charger de le ramener à la plus brutale des réalités, celle que connaissent alors les juifs du  »yiddishland ».
Le jeune Nachman se contentera d’abord de devenir apprenti chez un boulanger de Varsovie. Quand éclate la guerre de 14, il perd son travail, comme des milliers d’autres et comme eux, erre de soupe populaire en soupe populaire.
La belle jeune fille aux yeux bleus, Hannah, l’entraîne dans sa première réunion politique. C’est le début d’une vie acharnée de militant. Nachman suit aveuglément son leader, le camarade Daniel aux discours flamboyants. Jusqu’au jour où il est arrêté dans une rafle, torturé, condamné à neuf ans de prison, au terme desquels il parviendra enfin, usé, malade, dans le pays de ses rêves, l’Union soviétique.
C’est la misère de l’individu face à la religion et au fanatisme politique qu’Israël Joshua Singer a voulu montrer dans Camarade Nachman. Le personnage de Nachman est déchirant dans sa naïveté, dans sa conviction si forte qu’elle lui permet d’oublier la réalité de tous les jours, la faim, le délabrement physique. Il symbolise la lutte de toute une génération juive militante, dans une Pologne ravagée par les pogroms. Et des années après, le paysage de Camarade Nachman, ses plaines glacées, ses nuits sans ciel, restent d’une actualité étrange. Comme si l’histoire se répétait inlassablement.