Boustifaille temporelle. Ça a commencé il y a quarante mille ans, en gros. À l’époque, nous, les filles (et pas mal de garçons), on nous prenait pour des flans d’aurochs (une pâte de baies mélangée à des tripes de bœuf légèrement faisandées, si possible). C’est ce qu’on disait quand les chasseurs-cueilleurs ont commencé à nous interdire de courir avec eux. Après, quand l’une d’entre nous a découvert comment faire du feu, les choses ont empiré. Fallait l’entretenir, le feu. Genre, la meuf est là pour ça. On nous a prises pour des galettes au gras. Un mélange de moelle de mammouth laineux cuit avec des abats de rennes (certains ajoutent des yeux de bisons, mais ça fait hurler les puristes). Du coup, on a beaucoup peint et dessiné sur les murs à l’époque, vu qu’on était à la maison. Mais comme on n’a rien signé, c’est les gars qui ont tout récupéré. Alors que, pour la plupart, ils dessinaient comme des manches (avant même leur invention !). Bref, après, le pli était pris. Les Celtes et les Gaulois nous ont un peu associées à leurs affaires, mais globalement, sur la question des libertés, ils nous ont bien prises pour du gruau de gland (de la farine de glands mélangée à de la bouillie de fèves). Quant aux Romains, ils nous ont roulées dans la farine et prises pour des pains de garum (une pâte parfumée à la sauce d’entrailles de poisson séchées). Je vous passe le haut Moyen Âge : même avec un léger mieux, on se sentait quand même, sous nos hennins, largement prises pour des pâtés de bécasses (de la pâte de sarrasin fourrée de bécasses avec une sauce à l’hydromel). Tout ça pour vous dire que quand, au XVIe siècle, on a vu apparaître la quiche dans son plus simple appareil d’œufs entiers et de lardons bien gras, on s’est dit : ça, c’est pour nous. Ça n’a pas loupé. On nous prend désormais pour cette fausse tarte molle. Avec, en plus, un vieux remugle faisandé qui a traversé les siècles. Le flan d’aurochs, sans doute.